You can be heroes, just for one day

palais de l'elysee

Cet édito célèbre l’héroïque combat de la direction générale pour protéger la trésorerie de France Télévisions pendant le confinement. Composé de fake news, il ne contient qu’une seule et unique information vraie.

Mars, confinement, sale temps pour la Présidente. L’ordre était venu du Château : interdiction à France Télévisions d’inscrire ses salariés au chômage partiel. Le boss avait saisi au collet les patrons de toutes les boîtes bénéficiant de dotations publiques. Il les avait bien secoués : pas question que l’Etat, qui va régler l’addition du chômage forcé dans le privé, finance aussi celui du secteur public.

Un camouflet pour la Présidente. Non seulement la mesure sentait l’abus de pouvoir à plein nez, mais en plus, on lui refusait de faire valoir son opinion avant arbitrage.

Tout en cette affaire était révoltant. La mesure elle-même. Combien de millions, ou de dizaines de millions d’euros, selon la durée du confinement, coûterait la décision jupitérienne ? Elle n’osait même pas demander une évaluation en interne. Et la manière. Elle enrageait qu’on la confondît avec un vulgaire DAF. Bien sûr, on est toujours le mâle blanc et quinqua de quelqu’un mais là… c’était tellement… grossier !

Mais quel choix avait-elle ? Il lui faudrait avaler la couleuvre, aussi grosse soit-elle, dût-elle s’aliéner ses équipes, les syndicats, les médias. Réunion de crise. On serra les rangs autour d’elle. L’idée était de faire passer l’annonce en catimini, couverte d’un message ultra-rassurant pour le personnel : tous les statutaires conserveront leur salaire, règlement rubis sur ongle.

C’est en réunion du Comité Social et Economique ( ex CE ) que se produisit la déflagration. Les représentants syndicaux, pourtant prévenus, ouvrirent une session d’enchères et de surenchères, sur le thème : « Nous existons, nous avons une entreprise, nous devons la défendre. C’est au gouvernement d’assumer le coût de ses décisions, pas à notre trésorerie, pas à notre Présidente. »

La séance se termina dans la confusion. A l’unisson, les syndicats de journalistes et la Société des rédacteurs firent savoir à la Présidente, « en off » naturellement, que si le Château mettait à exécution sa menace de dépouiller notre trésorerie sur la durée du confinement, les représailles éditoriales seraient meurtrières. Et jusqu’à 2022. Vlan !

En moins de trois heures, la situation s’était retournée ! La Présidente venait de recevoir un attirail d’armes et de munitions propres à la faire sortir de la tranchée en pouvant triompher de l’adversité. Elle rapporta tout au Château, à la fois l’opposition syndicale et la menace des Rédactions. Elle ajouta : financer Bolloré et Bouygues mais pas moi, c’est indéfendable !

Aussitôt, l’Élysée modifia sa communication, et son approche. Plus d’intervention directe. Plus d’injonctions amicales avec tutoiement et prends soin de toi. Un jour, deux jours passèrent, dans le silence. C’est long, pour ce gouvernement aliéné à la communication !

C’est au tout début du mois d’avril, qu’une note lapidaire fut déposée Pont du Garigliano. L’inéligibilité de l’audiovisuel public au chômage partiel était désormais « une décision conjointe de deux Ministères » ( Culture et Économie ). Fermer le ban ?

Pas si vite ! Pour les représentants du personnel, ce n’était qu’une nouvelle pression. Le rapport de force s’accentuait. On discuta fort, avec comme toujours la ligne fataliste – la décision est prise et nous ne sommes pas là pour aider la Présidente à redorer son image, surtout pendant sa campagne – et la ligne de combat – donnons à la Présidente un point d’appui pour qu’elle se batte avec succès. C’est cette dernière qui l’emporta.

En CSE, les élus sortirent le matériel de guerre. Ils demandèrent un vote sur une action judiciaire, à double détente. Tout d’abord contester la compétence du pouvoir exécutif pour s’immiscer dans la gestion d’une entreprise privée ( FTV est une société commerciale de droit privé ). Et sur le fond porter plainte contre la discrimination consistant à subventionner le privé par le biais du chômage partiel, tandis que le public serait injustement désavantagé.

Et les journalistes ? Qu’en disaient-ils ? Ils semblaient prendre cette nouvelle atteinte comme un débordement du vase. Des éditoriaux, des émissions de plateaux, furent programmés sur le sujet, avec assez de buzz, pour que le Château en soit immédiatement informé.

Et les autres ? Qu’en pensaient-ils ? En interne, les gens semblaient vouloir se serrer les coudes.

Et même les centaines d’employés et cadres des services RH, délocalisés, en télétravail, eurent envie de se manifester. Ils décidèrent de soutenir ostensiblement leurs collègues, les hommes et les femmes qui font la télévision, ceux-là même qu’ils planifiaient sur les plateaux pendant l’épidémie et pendant le confinement.

Sur pression de sa base, la direction RH organisa un tableau de présence tournant, désignant des équipes de 40 salariés RH chargées de venir sur site, à la fin de chaque tournage. Les cols blancs applaudiraient les équipes de plateaux. Chaque membre de la direction RH était ainsi volontairement astreint à venir stationner dans les locaux une fois tous les 10 jours. Il y avait une forme de libération dans cet acte. Les membres de la RH devenaient ce qu’ils auraient dû être, la fonction support de ceux qui produisent de la télévision, contre vents et marées, virus protéiné ou pas.

Quand on annonça le lancement d’une chaîne web dédiée à un audit financier et social de chacune des décisions gouvernementales sur le Covid-19, et ce depuis le 1er janvier 2020, ce fut le coup de pied de l’âne. Le Ministère de tutelle se fendit d’un communiqué laconique :

« Après examen de la sécurité juridique des problématiques liées à l’éligibilité de l’Audiovisuel au dispositif de chômage partiel, la décision est prise de traiter les entreprises du secteur public de l’audiovisuel de manière strictement égale aux entreprises concurrentes de droit privé. »

La patronne avait gagné.

Le 11 mai, descendant de voiture devant le siège de France Télévisions, une haie d’honneur l’accueillit, avec en hommage les clameurs d’un vibrant patriotisme d’entreprise.

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