Petites histoires d’amour pour les vacances (2/4) : Un objectif qui s’engage

Cabinet Ktorza Zemour

70 printemps, c’est un capital d’expérience, d’intuition, de fluidité. A ceux qui gardent intact le désir de faire la télé, pourquoi l’interdire ?

Le jour du lancement de la campagne pour l’élection présidentielle de 1988, Jean-Marie Le Pen est l’invité de Télématin.

La nuit qui précède sera sans sommeil pour le réalisateur Marcel Zemour. Aucun de ses confrères n’étant disponible, personne sur qui se défausser, il va devoir assurer la réalisation de la pire des interviewes : la promotion télévisée de l’extrême droite, sous prétexte de neutralité entre les candidats. 

Pour lui, la neutralité, « 5 minutes pour Hitler et 5 pour ses victimes », c’est une fumisterie. Pourtant, son job, c’est de réaliser ces 5 minutes. Il a beau y réfléchir, cette contradiction semble insoluble.

Le lendemain matin, alors qu’est lancé le générique de début, il prend enfin sa résolution, à la console, sous la pression du direct.

Le dispositif de tournage est minimal, une caméra sur le présentateur, une autre sur l’invité, et une troisième, en retrait, pour les plans d’ensemble.

Il éteint les écrans de contrôle. Sur le plateau, personne ne peut s’apercevoir qu’il n’offre aucun plan rapproché de Le Pen. Celui-ci ne sera filmé que de loin, pendant toute sa prestation sur la 2. 

Cependant, dans les étages, les récepteurs de télévision sont allumés. On voit bien la catastrophe en cours. On interpelle le réalisateur. 

Pour gagner du temps, il prétexte une panne. 

Les techniciens autour de lui protestent : on va les accuser de faute. 

A bout de subterfuges, il se résout à affronter la hiérarchie : « Vous avez l’image ? Oui ! Vous avez le son ? Oui ! Alors le reste, c’est ma liberté de réalisateur ». 

Flottement chez les cols blancs. C’est gagné, l’émission s’achève. 

Des techniciens ( les mêmes ? ) viennent le féliciter, mezza voce

Mais le voilà convoqué dans les étages.

Ce n’est pas un savon qui l’attend, c’est une véritable agression. 

Il se voit accusé de communisme, ce qui se voudrait une insulte, mais révèle surtout une conception particulière du pluralisme à la direction de l’information d’une chaîne publique. 

Puis il est stigmatisé pour n’être pas allé au bout de ses convictions en poignardant l’invité, propos extraordinaires qui révèlent surtout l’angoisse du locuteur par rapport à sa virilité.

Whatever… le réalisateur reste stoïque sous le bombardement. Pourquoi répondre ? Il a dit ce qu’il avait à dire, publiquement, par son choix de réalisation.

Son élégance est-elle perçue comme une ultime provocation ? 

Il est viré. Et des productions autres que Télématin, il est également viré.

~ Quelle histoire ! Est-ce à dire que la direction était profasciste à Antenne 2 ?

Il est bien évident que les cadres d’Antenne 2 ne votaient pas Le Pen ! 

~ Alors pourquoi ?

Selon le réalisateur, les cadres de la chaîne sont avant tout préoccupés du respect des règles, pour ne pas être mis en défaut. Or dans une campagne électorale, l’égalité de traitement entre les candidats est la règle cruciale.

~ Ça se tient, non ?

Juridiquement, ça ne se tient pas, mais pour l’expliquer il faudrait développer le concept de neutralité ( nous y consacrerons un article par ailleurs ). 

En tout état de cause, le limogeage s’explique ici par la souplesse d’échine. 

~ La souplesse d’échine de qui exactement ?

Des patrons du réalisateur. Car dès François Mitterrand réélu en mai 1988, le terroriste deviendra rétroactivement un résistant, et sera réinstallé sur ses émissions.

~ Édifiant. Mais quel rapport avec les hommes de télévision senior ? 

C’est que, avant que notre feuilleton de l’été n’évoque utilement ce réalisateur devenu septuagénaire, il était important de raconter, un peu, qui il est. 

De fait, Marcel Zemour est, à 70 ans, un homme de télévision dont le savoir-faire décline un style, une éthique professionnelle, une expérience. Et il travaille toujours, à la réalisation des JT de TV5Monde.

And now, the tragic story…

Chez TV5Monde, pour se séparer des vétérans réalisateurs et techniciens, on ne prétexte pas l’âge, on offre la valise ou le cercueil ( un chèque de départ ou le licenciement pour faute ).

Marcel Zemour, qui, on l’a compris, développe une raisonnable aversion à la courtisanerie, va ainsi se faire licencier pour « fautes techniques » commises à son poste de travail.

Pour ceux qui ont témoigné en faveur du réalisateur dans le procès qui s’en est suivi, cette accusation tient de la farce.

La Cour d’appel a sanctionné sévèrement l’employeur, par une condamnation en dommages et intérêts importante ( ce qui va sans doute motiver un pourvoi en cassation ).

Au fait, pourquoi s’est-on séparé d’un senior à forte plus-value professionnelle, sachant au surplus qu’on subira, inévitablement, les foudres judiciaires ?

Il n’est pas certain que quelqu’un, à la direction générale ou à la direction RH de TV5Monde, puisse répondre précisément à cette question.

Le fait demeure que, à 70 ans, l’âge devient en soi un motif d’ostracisme.

NB Dans notre prochaine chronique, nous irons à la rencontre de trois belles personnes dont le travail consiste à rester impartiaux, et incorruptibles. Ces qualités morales, qui justifient la confiance de leur employeur, expliquent leur rébellion quand on va essayer de les… ostraciser.

Photo : ageheureux
Texte principal : Oury Attia
Texte en second : Capucine Cueye
Maquette : Nimtsa Web Design
Avocat plaidant côté salarié : Joyce Ktorza 

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