Des salariés essorés par la grande lessive de France Télés
Christophe Nobili
SUPPRESSIONS d’émissions, externalisations (comme on dit) de productions, limogeages ou reclassements bidon, renouvellements de CDD à gogo… Il y a comme une ambiance de fête, à France Télévisions ! De quoi rappeler sa patronne, Delphine Ernotte, son riant passé à France Télécom.
La pédégée de la télé publique vient même de gagner le droit d’être citée devant le tribunal correctionnel de Paris ! L’audience, à la demande de quatre salariés techniciens, pourrait se tenir avant la fin de l’année. A l’origine de cette procédure inédite au pénal, le cabinet d’avocats Ktorza a décidé de frapper un grand coup contre l’usage abusif des CDD.
Il faut dire que les quatre chefs opérateurs (son, prise de vue) concernés sont des cas d’école au sein de France Télés : alors qu’ils occupaient des postes permanents, ils ont été employés pendant plus de vingt ans avec des CDD à répétition, ce qui est, bien sûr, illégal.
Les COD secouent leurs chaînes
Mieux : après la nomination d’Ernotte, à l’été 2015, ils ont fini par attaquer et faire condamner le groupe public aux prud’hommes. Mais, tandis que les procédures suivaient leur cours, la série télé a continué : jusqu’à 33 nouveaux CDD entre 2016 et 2017 pour l’un des plaignants, et jusqu’à 50 en trois ans pour son collègue ! D’où les citations directes en correctionnelle expédiées rageusement à la patronne de la télé publique.
Le constat de leurs auteurs est le suivant : primo, cette patronne est une récidiviste ; deuzio, elle ne pouvait ignorer qu’elle commettait “intentionnellement” un délit. D’autant que, le 19 juillet 2017, elle avait déclaré devant la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée :
“Ii faut quand même le reconnaître, il y a une forme d’abus, un peu structurelle —c’était vrai dans l’audiovisuel public, c’est vrai dans l’audiovisuel en général —, du recours à des CDD qui se sont accumulés au fil des ans (…). Au bout d’un moment, on pouvait arrêter les CDD et, donc, après vingt ans de loyaux services, ils se retrouvaient en difficulté” Oh, si peu.
Mais, comme dirait Nagui, “n’oubliez pas les paroles” ! Car, depuis cette belle déclaration, du côté social, c’est encore plus brutal. “Le rythme des contentieux s’accélère. Rien qu’à notre cabinet, on est au-jourd’hui à plus d’un jugement prud’homal par semaine résume Joyce Ktorza. Pour effectuer des économies, la douce Ernotte s’est lancée, l’été dernier, dans une politique de liquidation d’émissions historiques (“Thé ou café”, “C’est au programme”, “Motus”), virant les CDD en quelques heures.
La nouvelle tendance est au remplacement des émissions “à l’ancienne” – considérées comme trop coûteuses et trop riches en salariés – par des programmes low cost. Lesquels seront produits par France.tv studio (ex-MFP), la filiale de production de France Télévisions, qui fonctionne comme une boite de prod privée.
Drôle de société-écran…
Problème : en les changeant de société de production, la direction propose – sans mire – aux salariés de les réembaucher avec de nouveaux contrats, leur faisant perdre leurs droits acquis et leur ancienneté. Retour a la case depart, donc ! Pour certains CDD, des baisses de cachet peuvent même être proposées, et c’est à prendre ou à laisser. La direction a aussi tenté de faire le coup aux employés en CDI, dont la plupart ont réussi, au terme d’âpres batailles, à conserver leur contrat estampillé France Télévisions.
Parfois, l’émission n’est pas sucrée, mais sa production est progressivement transférée en loucedé a France.tv studio. Avec de gros dégâts au passage. Le cas le plus emblématique est celui de “Télématin” dont une centaine d’employés vit, depuis plusieurs mois, des heures pénibles. Rien qu’en février dernier, cinq réalisateurs, alors plus près de la porte que de l’augmentation, ont fait condamner le groupe public à requalifier leurs années de CDD en CDI. Ils avaient entre douze ans de contrats précaires au compteur, pour le plus jeune, et vingt et un ans, pour le plus expérimenté.
Le bilan est triomphal pour tout le monde : d’un côté, la plaisanterie coûte près de 30 000 euros par tête de pipe à France Télés ; de l’autre, les plaignants se retrouvent réintégrés avec leur salaire… mais certains sans affectation. Plus belle: la vie ?
Qui veut gagner des millions ?
EN MATIÈRE d’économies salariales, le groupe public a battu, cette année, tour les records. Dans le plus grand secret, France Télés a été condamné, le 5 février par la cour d’appel de Paris, à indemniser deux infographistes. Ceux-ci avaient été limogés en 2009 sans autre forme de procès, après des années de labeur (vingt-cinq ans pour l’un, dix-neuf pour l’autre) réglées à coups de cachets et d’honoraires. La pauvre Ernotte n’y est pour rien, cette fois, mais l’addition est sévère. Entre indemnités pour licenciement abusif, rappels de salaires, dommages et intérêts, indemnités pour travail dissimulé, primes d’ancienneté, congés payés, etc., elle s’est élevée, dans un cas, 583 169 euros et, dans l’autre cas, a 539 320 euros !
Plus de 1 million pour indemniser deux salariés du service public ! Du jamais “Vu a la télé”
CABINET-KTORZA-Enquête-du-Canard-Enchaîné-sur-la-gestion-sociale-de-FTV-24-juillet-2019-1