Télématins : Would you believe her ?

Cabinet Ktorza delphine

Des représentants du personnel croient avoir entendu la présidente de France Télévisions prononcer le mot magique, réparateur, et qu’elle espère conjuratoire : « volontariat ».  

Et d’en tirer les conclusions : Ernotte « recule » sur son projet d’externalisation, voire y « renonce ». 

Tout cela… sur la base d’une communication en CSE ! 

Et si on y regardait de plus près ?

Flashback : 

La scène se déroule à l’aube de l’an 2007, dans la tour cylindrique aux parois-miroirs, de l’autre côté de la Seine.

Imaginez.

Votre convocation au Comité de Groupe porte un unique point en ordre du jour : 

Les conséquences sociales de la fusion TPS et Canal SAT

Perdu(e) parmi les dizaines d’invités, élus, syndicalistes, experts, RH, vous entrez dans une salle si vaste que chacun y trouvera place. La puissance de Bouygues ne saurait négliger le moindre symbole ! 

Même si, ce jour-là, on acte une victoire ennemie : la « fusion avec… » est en réalité une « absorption par… ». CANAL va dévorer le satellite TPS, ses chaînes thématiques, ses marques, tout… Jusqu’au personnel ? Sur cet épineux problème va intervenir le PDG, venu présider en personne le CE extraordinaire.

De votre droite, de votre gauche, les interpellations fusent. Grand patron ou pas, la grogne monte, portée par dix-huit mois d’incertitude – le temps qu’a mis le gouvernement pour valider le projet. 

On ne sait toujours pas combien sont concernés par le transfert. Une petite juge, toute seule dans son tribunal d’instance, n’a pas craint d’accéder à notre demande : forcer TPS à communiquer, toutes affaires cessantes, le registre du personnel. 

Las, les cartons de liasses informatisées, listant des dizaines de milliers de contrats, défient la compilation en un temps raisonnable. Nous restons donc sur une approximation : un millier de personnes selon une évaluation syndicale. 

Mais voici que le silence se fait dans la salle de réunion du CE. Le charismatique patron va parler. Brièvement, et cette brièveté augmente encore la force du propos, il assène trois phrases. En substance :

« TF1 est un groupe puissant. Nous avons les moyens de reclasser tout le monde. Personne ne sera laissé sur le bord du chemin

Limpide, non ? Un vieux de la vieille se charge d’enfoncer le clou :

– Même les pigistes, Monsieur le Président ?

Même les pigistes, confirme le boss.

Même les interm…

Même les intermittents, coupe le boss.  

Fermez le ban.

Soulagement général.

~ Je vois le truc venir… 

Six mois plus tard, le transfert des contrats de travail est effectif.

Sans reclassement sur TF1. 

Aucun.

~ Outch, quelle histoire ! Passer de « tout le monde reclassé » à « zéro reclassé », quand même, c’est abuser…

C’est juste considérer le personnel comme un acteur économique aux intérêts autres que les siens. Et donc, prendre ses avantages quand et tant qu’il est possible.

~ Business is business… 

Mais quoi… Cette maxime a-t-elle un sens dans les rapports de travail ? Faudrait-il considérer les salariés comme des concurrents, ou des banquiers, ou des fournisseurs ?

Le problème est ailleurs : 

En droit, le non-respect par l’employeur de son engagement n’est pas vraiment sanctionné.

~ Et donc… il peut raconter n’importe quoi ? Sans que sa parole ne l’engage ? 

Oui et non.

Tout engagement de l’employeur le lie. 

Il est tenu de le respecter.

Le droit va même jusqu’à répertorier nombre de formes d’engagements : oraux, écrits, promesses, engagements unilatéraux… 

Le problème est que dans l’immense majorité des cas, l’arsenal judiciaire ne permet pas de le forcer à exécuter son engagement. On ne peut obtenir que des dommages et intérêts.

Et souvent, ça lui fait une belle jambe, à la victime, des dommages et intérêts…

~ Ça signifie que, dans l’affaire Télématin, si la patronne de FTV change encore d’avis, les syndicats pourront demander des dommages et intérêts, mais non pas garder chez FTV ceux qui ne veulent pas partir ? 

Mais oui, et de plus, ces dommages et intérêts peuvent n’être que très symboliques…

~ Si je comprends bien, le problème n’est même pas la crédibilité de la PDG, le problème est la force obligatoire de ses propos ?  

Oui, la question de l’honnêteté intellectuelle de Delphine-Ernotte-personne-privée n’est pas posée. En revanche ce que nous enseignent les relations sociales dans les grandes entreprises, c’est que n’importe qui, placé en position de patron, se sentira autorisé à mentir. 

Mais revenons au constat, fort simple : cette forme particulière d’engagement, consistant à promettre quelque chose à la cantonade, n’a aucune valeur juridique réelle. 

A bon entendeur…

Et allez, une petite dernière pour la route ?

D’après les travaux du CSE, les compte-rendus syndicaux, les articles de presse, et d’après les confidences que nous recueillons, Madame Ernotte a bien parlé de possibilité pour les salariés de « choisir », mais sans jamais prononcer le mot de « volontariat ».  

Il semble que, de bonne foi, quelques protagonistes ont interprété les propos de la patronne. Par besoin de décompresser après des mois de combat ? Par désir de réconforter, un peu trop vite, les victimes ? 

Quoi qu’il en soit, en l’état du débat social, Madame Ernotte ne manifeste aucune intention de garantir aux salariés leur maintien au poste, sauf s’ils « choisissent » de migrer.

La présidente fait preuve de franchise… pour peu qu’on écoute exactement ses dires. 

Photo : TeeShirt AliExpress ( detail )
Texte principal : Oury Attia
Texte en second : Capucine Cueye
Maquette : Nimtsa Web Design
Avocat plaidant côté victimes de la fusion TPS-Canal : Joyce Ktorza 

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